Une philosophe du métier de luthier

L

e métier de luthier est avant tout une passion.
Ma conviction est que la réalisation d’un très bon instrument demande de s’investir et de s’immerger complètement dans chaque étape de sa création pour arriver à l’excellence.

Il faut tout d’abord partir à la recherche des meilleurs « ingrédients » qui ouvrent la voie de la haute qualité.

Le violon est un objet en bois. La nature même de ce matériau, de ses qualités acoustiques sont responsables pour une grande part du son produit par l’instrument.

Je m’astreins donc à retrouver les mêmes matériaux et essences que les luthiers de la grande école de Crémone du XVIIIème siècle – Stradivarius, Guarnerius… Ainsi, je choisis mon épicéa dans les scieries de la vallée de Fiemme dans le nord de l’Italie d’où vient le célèbre « pin rouge ».
Tout comme ces luthiers italiens je recherche un érable en provenance des Balkans. En effet c’est dans les terroirs et climats de la Serbie que l’Acer Platanus, un érable extrêmement nerveux et sonore, arrive à son summum de qualité.

Dans l’esprit des anciens je traite mon bois et le laisse reposer amoureusement pendant une dizaine d’années avant de le pré débiter et de le laisser à nouveau sécher pour obtenir une stabilité optimum de la pièce finie.

Ensuite viennent les centaines d’heures de travail réalisées entièrement à la main. La main permet de sentir, soupeser, effleurer ; elle nous donne cette sensibilité qui façonne les grands instruments.

5 ans d’apprentissage à l’école nationale de Mirecourt m’ont appris la beauté du geste, une technique irréprochable et l’amour du travail bien fait. Cependant c’est seulement en ayant tenu dans mes mains et restauré pendant des années des violons de grands maitres italiens que j’ai appris et compris ce qui fait qu’un instrument sonne.
La technique est un outil nécessaire mais elle ne fait ni le musicien ni le luthier.

Au cours des 25 ans de pratique de ce métier, c’est également l’écoute et la collaboration avec les musiciens qui m’a permis de progresser et d’aller toujours plus loin dans ma quête d’un son idéal.

Je pense que d’être violoniste moi-même me permet de me mettre plus facilement à la place de mes clients, de comprendre leur envies, leurs obsessions et leurs inquiétudes.
J’aime donc pouvoir accompagner l’instrumentiste et son instrument – qui est toujours en devenir.

A ceux qui me demandent s’il est difficile de laisser partir une pièce sur laquelle on a travaillé pendant des centaines d’heures, je réponds qu’il n’en est rien : un instrument n’est pas fini tant qu’il n’a pas trouvé son maître.

Ce rapport privilégie avec le musicien à travers le medium de l’instrument est une délivrance et il donne sens à ces longues heures bien solitaires passées dans un atelier.

J’aime profondément mon métier et je suis bien conscient de ma chance de pouvoir vivre ainsi. Il me tarde de faire le prochain violon, alto ou violoncelle pour aller toujours plus loin dans ma recherche de sons et d’émotions…